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Lettre XXXVI




Samedi, à Winchester.

Milord D' Ossery avoit bien raison de dire que l' espéce de ses torts m' étoit inconnue. Comment aurois-je imaginé ? ... quelle avanture ! Ce cabinet... cette obscurité... sa hardiesse... il appelle cela un malheur... j' oubliai mon amour, dit-il... ah ! Oui, les hommes ont de ces oublis ; leur coeur et leurs sens peuvent agir séparément ; ils le prétendent au moins ; et par ces distinctions qu' ils prennent pour excuse, ils se réservent la faculté d' être excités par l' amour, séduits par la volupté, ou entraînés par l' instinct. Comment pouvons-nous démêler la véritable impression qui les détermine ? Les effets sont si semblables, et la cause si cachée. Mais cette excuse qu' ils prennent, ils ne la reçoivent pas ; remarquez cela : ce qu' ils séparent en eux, ils le réunissent en nous. C' est nous accorder une grande supériorité dans notre façon de sentir ; mais faire naître en nous une terrible incertitude sur l' espéce des mouvements qui les portent à désirer de nous posséder.

Pourtant, ma chere Henriette, ce perfide , cet ingrat , cet homme faux et trompeur , n' étoit qu' un infidéle... pas même un infidéle... sa tête troublée... sa raison égarée... ah ! Quel égarement ! Qu' il m' a couté de larmes ! Faudra-t-il pardonner ! ... mais comment Milord D' Ossery a-t-il pu me laisser deux ans dans l' ignorance de ce secret ? ... il en donne une raison... il en donne de tout... qu' il a souffert ! Que de probité dans ce sacrifice ! Quelle générosité !




SvD, November 2008




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