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Lettre VI




Dimanche, à Winchester.

J' ai reçu vos lettres en arrivant ici ; vous ne doutez pas, ma chere Henriette, du plaisir véritable que j' ai senti à les lire. Votre amitié me touche dans tous les instants de ma vie ; elle a suffi long-tems à mon coeur : que j' étois heureuse alors ! Si des sentiments moins volontaires et plus tumultueux m' ont occupée, vivement occupée, croyez qu' ils n' ont point affoibli ce gout tendre et solide qui m' attache à vous. Les qualités qui l' ont fait naître ne doivent rien à l' illusion ; le tems ni l' éloignement ne pourront jamais le détruire.

Ma fermeté vous étonne. Eh ! Bon dieu, cet effort que vous admirez, si je pouvois l' envisager sans passion, perdroit bien du prix que nous y mettons toutes deux. Qu' est-ce donc que je sacrifie ? Quel est le bien dont je me prive ? La douceur d' être trompée encore peut-être ! Mais pourrois-je m' y abandonner, quand j' ai perdu celle de me tromper moi-même ?

Vous me dites de pardonner à Milord D' Ossery , ou de ne plus penser à lui . Lui pardonner ! Ah ! Jamais... n' y plus penser ! ... j' y pense assurément le moins que je puis ; je n' y pense plus avec plaisir. Je n' y pense plus avec regret ; j' y pense... hélas ! Ma chere, parce qu' il m' est impossible de n' y plus penser. Le souvenir marche avec nous : on croit le perdre en cherchant le monde ; mais un instant de solitude lui rend toute la force que la dissipation sembloit lui avoir ôtée. Dès que je suis avec moi, je me retrouve avec cette idée autrefois si chére ; je revois cette image... combien l' ame, que je croyois à cet ingrat, avoit embelli ses traits ! Quelle parfaite créature il offroit à mes yeux ! Ah ! Pourquoi, pourquoi a-t-il déchiré ce voile aimable qui me cachoit ses vices, sa fausseté ? [...]





SvD, November 2008




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