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Suzan van Dijk




Isabelle de Charrière :
une romancière regarde vers son passé.

A la demande d’un ami hollandais, Gerard Godart Taets van Amerongen van Schalkwijk, Isabelle de Charrière (1740-1805) a résumé peu de temps avant sa mort sa carrière d’écrivaine et la genèse de son œuvre. Elle le fit dans une série de quatre lettres, écrites en janvier et février de l’année 1804. Elle ne semble pas trop s’y prendre au sérieux comme écrivaine (« Vous me faites rire en me parlant de mes ouvrages », lettre 2500), et y dessine comme un autoportrait en amatrice. Celui-ci sera repris avec un certain enthousiasme par des critiques et des historiens : l’image qu’elle donne d’elle-même semblerait les arranger, et en plus être confirmée par le nombre assez réduit d’éditions de ses écrits et d’exemplaires de leurs tirages.

Dans un article récent, publié par les Cahiers Isabelle de Charrière (2010), Paul Pelckmans procède à l’étude d’une influence hollandaise que Charrière aurait subie pour ses Lettres neuchâteloises et dont elle parle en 1804, alors qu’elle ne l’avait pas mentionnée en 1784. Il considère qu’« [i]l est, à y réfléchir, assez délicat de préciser le poids exact qu’on peut attribuer à un tel témoignage ». Il note que « la lettre au baron Taets date de 1804 et qu’elle est donc de vingt ans postérieure à la parution du roman. Le souvenir a eu le temps de se faire approximatif ».

Certes. Mais on peut aussi adopter une autre perspective, et faire remarquer – cela a été fait d’ailleurs – qu’il y a quelque écart entre le ton volontairement laconique de l’autodescription « finale » et l’investissement d’énergie lors de la composition des ouvrages, pour laquelle elle appelle à l’aide divers membres de sa famille et de son cercle, tels son mari, Benjamin Constant, Suard et Ludwig Ferdinand Huber.

Comment, donc, se rapportent entre elles ces deux étapes : celle contemporaine de la création et celle du regard jeté plus tard en arrière ? Laquelle des deux devrait compter le plus pour nous qui cherchons à la situer dans son rôle d’écrivaine, et à comprendre son positionnement dans le champ littéraire ? Dans cette contribution je me propose de comparer les lettres de janvier/février 1804 à celles contemporaines de la rédaction de quelques-uns de ses romans, ainsi qu’à la position des instances narratives dans ces mêmes romans. Son détachement final est-il un effet du temps ? d’un temps « féminin»? Et rend-il plus, ou moins crédible une assertion tardive comme celle concernant une influence subie ?





SvD, June 2011




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