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"Portrait de Madame de Charrières"




écrit vers 1801 par Rosette de Bosset, amie d'Isabelle de Charrière.

La femme supérieure de l'Ecriture Sainte ou la femme forte, dont on nous donne le modèle, se distingue par un travail mécanique: elle fait et fait faire. La femme supérieure, dont j'entreprens de tracer quelques traits qu'elle effacera peut-être, ne les trouvant pas dignes d'elle, cette femme supérieure est et fait être. Ses facultés intellectuelles sont beaucoup plus perfectionnées que celle d'aucune femme de ma connaissance. Son âme est un feu qui s'augmente et se nourrit sans cesse. Elle a des idées qui lui appartiennent, elle pense. Elle a réfléchi sur les mots qui expriment les pensées, elle parle avec justesse, grace et facilité - elle écrit de même - Sa conversation est brillante, elle ne s'appesantit sur aucun sujet et passe avec facilité du sérieux au plaisant: sur des questions abstraites, elle donne des résultats neufs et piquans, parce que le travail de la réflexion a été fait d'avance. Tout ce qui lui paraît tenir à l'erreur, à l'hipocrisie, au déguisement, n'a aucun accès dans son âme, et n'est pas épargné dans les autres - On l'accuse de rudesse, parce qu'elle appelle, Un Chat un Chat et C** un fripon - Les personnes capables de l'apprécier, l'aiment par cet endroit - Elle ne flatte pas, mais lorsqu'elle louë, on est délicieusement affecté - Solitaire et sachant se suffire à elle même, elle ne recherche point la société. On la force en quelque sorte et jusques dans les derniers retranchemens. Toujours ses amis particuliers, les malheureux, ceux qui ont besoin d'Elle, y trouvent un facile accès - Des curieux ou des gens à prétentions, en sortent souvent mécontens et n'y reviennent pas. - J'ai dit qu'Elle faisait être. Il est impossible de ne point se rappeler ce qu'elle a dit, de n'y point réfléchir, c'est une société, une conversation qu'on emporte avec soi, qui forme le goût et a dès lors, une utilité réelle. Quel mauvais peintre que celui, qui ne sait pas mettre d'ombres à ses tableaux - Mme de Charrière, l'a dit, elle n'est pas égale, elle n'est pas douce, peut-être, est-elle capricieuse, a t'elle des saillies redoutables pour les personnes qui l'entourent et l'impatientent. Elle ne frotte pas de miel les bords de la coupe qui renferme des sucs amers, mais vivifians. - Je le crois - mais rien n'est aussi délicieux que ses retours, ses regrets lorsqu'on lui en inspire - On aime à être blessé et guéri par elle -

présentation par Jean-Daniel Candaux dans la Lettre de Zuylen et du Pontet 1985, No 10, p. 19.



SvD, January 2009



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