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je vais très-vîte, accompagnée de gens dont je me | je vais très-vîte, accompagnée de gens dont je me | ||
soucie peu, chez d' autres dont je ne me soucie point | soucie peu, chez d' autres dont je ne me soucie point | ||
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vous que j' aime si tendrement : eh ! Pourquoi ce | vous que j' aime si tendrement : eh ! Pourquoi ce | ||
départ, cette hâte ? Pourquoi me presser d' arriver où | départ, cette hâte ? Pourquoi me presser d' arriver où | ||
je ne désire point d' être ? Pour m' éloigner... de | je ne désire point d' être ? Pour m' éloigner... de | ||
- | qui ? ... de Milord D' Offery... ah ! Ma chere | + | qui ? ... de Milord D' Ossery... ah ! Ma chere |
Henriette, qui m' eût dit que je l' éviterois un | Henriette, qui m' eût dit que je l' éviterois un | ||
- | jour ? N' est-ce pas le même objet dont la privation | + | jour ? '''N' est-ce pas le même objet dont la privation |
forcée a pensé me couter la vie, qui pendant deux | forcée a pensé me couter la vie, qui pendant deux | ||
ans fut toujours présent à mon idée, que tout me | ans fut toujours présent à mon idée, que tout me | ||
- | retraçoit, et que rien n' a pu me faire oublier ? Je | + | retraçoit, et que rien n' a pu me faire oublier ?''' Je |
fuis donc pour ne pas rencontrer ces yeux que j' ai | fuis donc pour ne pas rencontrer ces yeux que j' ai | ||
cherchés avec tant de plaisir, où mon destin me | cherchés avec tant de plaisir, où mon destin me | ||
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vue ! ... mais concevez-vous qu' il ait osé se présenter | vue ! ... mais concevez-vous qu' il ait osé se présenter | ||
à ma porte, insister pour me voir, m' écrire, | à ma porte, insister pour me voir, m' écrire, | ||
- | imaginer que j' ouvrirois ses lettres ? ... en vérité, | + | imaginer que j' ouvrirois ses lettres ? ... '''en vérité, |
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cet homme est audacieux... eh ! Ne le sont-ils pas | cet homme est audacieux... eh ! Ne le sont-ils pas | ||
- | tous ? ... n' en parlons plus : ah ! N' en parlons | + | tous ?''' ... n' en parlons plus : ah ! N' en parlons |
- | jamais. | + | jamais.<br> |
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Je suis encore étonnée de ma démarche. Je me dis à | Je suis encore étonnée de ma démarche. Je me dis à | ||
- | chaque instant que j' ai bien fait : je me le dis ; | + | chaque instant que j' ai bien fait : '''je me le dis ; |
- | mais je ne le sens pas assez. Je cherche des raisons | + | mais je ne le sens pas assez.''' Je cherche des raisons |
de m' applaudir du parti que j' ai pris ; j' en trouve, | de m' applaudir du parti que j' ai pris ; j' en trouve, | ||
mais c' est dans ma fierté seulement. Ma chere, | mais c' est dans ma fierté seulement. Ma chere, | ||
- | j' éprouve que le coeur ne goute pas ces foibles | + | j' éprouve que '''le coeur ne goute pas ces foibles |
adoucissements dont l' amour-propre se fait des | adoucissements dont l' amour-propre se fait des | ||
- | consolations. | + | consolations.'''<br> |
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Enfin, je suis partie ; me voilà à cinquante milles | Enfin, je suis partie ; me voilà à cinquante milles | ||
- | de Londres, et je ne suis point morte ; | + | de Londres, et je ne suis point ''morte'' ; [...] |
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Revision as of 12:12, 25 November 2008
Lettre I
Mardi, de Summerhill.
C'est au grand trot de six forts chevaux, avec des
relais bien disposés, l' air de l' empressement, que
je vais très-vîte, accompagnée de gens dont je me
soucie peu, chez d' autres dont je ne me soucie point
du tout. J' abandonne mes amis les plus chers ; je vous quitte,
vous que j' aime si tendrement : eh ! Pourquoi ce
départ, cette hâte ? Pourquoi me presser d' arriver où
je ne désire point d' être ? Pour m' éloigner... de
qui ? ... de Milord D' Ossery... ah ! Ma chere
Henriette, qui m' eût dit que je l' éviterois un
jour ? N' est-ce pas le même objet dont la privation
forcée a pensé me couter la vie, qui pendant deux
ans fut toujours présent à mon idée, que tout me
retraçoit, et que rien n' a pu me faire oublier ? Je
fuis donc pour ne pas rencontrer ces yeux que j' ai
cherchés avec tant de plaisir, où mon destin me
sembloit écrit, dont les regards régloient autrefois
tous les mouvements de mon ame. Etrange changement !
Comment des effets si différents peuvent-ils provenir
d' une même cause ! Mon dieu, que j' ai été surprise
de le voir ! Que son air triste, que ce grand deuil
m' a frappée ! ... qu' il étoit bien ! Que sa femme a dû
regretter la vie ! Qu' en me retirant, j' ai eu de peine
à ne pas tourner la tête ! Dans quel état cette
vue ! ... mais concevez-vous qu' il ait osé se présenter
à ma porte, insister pour me voir, m' écrire,
imaginer que j' ouvrirois ses lettres ? ... en vérité,
cet homme est audacieux... eh ! Ne le sont-ils pas
tous ? ... n' en parlons plus : ah ! N' en parlons
jamais.
Je suis encore étonnée de ma démarche. Je me dis à
chaque instant que j' ai bien fait : je me le dis ;
mais je ne le sens pas assez. Je cherche des raisons
de m' applaudir du parti que j' ai pris ; j' en trouve,
mais c' est dans ma fierté seulement. Ma chere,
j' éprouve que le coeur ne goute pas ces foibles
adoucissements dont l' amour-propre se fait des
consolations.
Enfin, je suis partie ; me voilà à cinquante milles de Londres, et je ne suis point morte ; [...]
SvD, November 2008
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