Marianne Charrier-Vozel
Dans la continuité d’un article publié en 2002 dans le volume Féminités et masculinités dans le texte narratif avant 1800, la question du 'gender', dans lequel je m’intéressais à deux postures énonciatives, celles de l’humour et de l’ironie, dans les univers romanesques de Mme Riccoboni et de Choderlos de Laclos (auteur des Liaisons dangereuses), je propose de m’interroger sur le lien privilégié que la tradition s’attache à établir entre les femmes et le genre sentimental.
L’enjeu de cette problématique est bien celui de l’accès des femmes à l’écriture et à la littérature, comme le révèle l’introduction du très répandu Manuel épistolaire à l’usage de la jeunesse de Philippon de la Madeleine qui déclare, dans la dix-septième édition (de 1804):
« […] si l’on excepte quelques femmes beaux esprits, qui peut-être feraient encore mieux de n’être que de bonnes femmes, les autres n’ont jamais composé que des Lettres. La littérature proprement dite n’est pour elles qu’un objet de curiosité ».
Autoriser les femmes à écrire et à lire des lettres permet en fait de les cantonner dans le domaine des émotions et d’alimenter le mythe d’une écriture au féminin spontanée.
Il s’agit donc de montrer notamment comment Mme Riccoboni, une romancière qui connut un immense succès de son vivant, fut contrainte d’utiliser le roman sentimental pour ne pas se couper ni de son lectorat, ni de la critique de son temps (elle obtint une pension royale en 1772). La romancière met ainsi en place une stratégie de détournement des canons du genre sentimental qui n’échappe pas à l’un de ses contemporains, Frédéric Melchior Grimm, célèbre rédacteur de la (manuscrite et cependant influente) Correspondance Littéraire. L’exemple de Mme Riccoboni illustre bien, à travers les notions esthétiques de la comédie et du larmoyant, la question des enjeux du concept de "gender" pour la structuration du champ littéraire.
SvD, February 2009
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